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Saïgon, le 18 juin 1867
Chère petite Maman, très cher Papa,
Quatre jours se sont écoulés depuis mon arrivée en Extrême-Orient. Décalage horaire oblige, mes nuits sont quelque peu agitées. Il en est tout autant pour les saugrenus rêves qui me traversent l'esprit, quelle horreur quand j'y repense ! Toutefois, j'ai bonne espérance qu'avec les jours à venir, mon sommeil soit à nouveau régulé. Vient s'ajouter à ce désagrément naturel, cette chaleur étouffante et humide qui s'engouffre dans toutes les pièces de la maison. Il ne me reste plus qu'à prendre mon mal en patience et de prier pour qu'une bonne pluie rafraichisse l'atmosphère de la ville. Tôt le matin à cinq heure, c'est par dizaine que des petits bouts de femme s'agitent en dessous de la fenêtre de ma chambre à coucher. Pour quelques piastres, elles négocient aux passants des fruits dont les couleurs vives, les atypiques formes et l'odeur me sont totalement étrangers. La veille au soir, j'ai questionné la petite pâtissière annamite dont je t'ai parlé dans ma première lettre. Vois-tu à qui je veux faire allusion ? Oui, cette mignonne d'un teint si mat qu'il ferait tomber tous les garçons de Morlaix. A ce propos, nous avons eu un brin de causette et c'est avec beaucoup de pédagogie qu'elle m'a énuméré les principales saveurs sucrées qui poussent sur les arbres de la colonie. Rambutang, Durian, Jacquier, Mangoustan, Longane et j'en passe, quelle diversité, c'est incroyable ! Par contre, certains fruits dégagent une odeur si pestilentielle que toute idée de dégustation me semble impossible pour l'instant. Ce matin, après le petit déjeuner, la petite pâtissière m'a emmené chez le pharmacien d'en-face afin que je puisse me procurer une solution liquide contre ces maudits moustiques qui me dévorent la peau. Comme me l'avais recommandé l'oncle Armand, je me suis badigeonné du jus de citron sur les jambes. Si ce remède de bonnes femmes bretonnes agit en conséquence en France, il s'avère inefficace ici en Indochine. Au comptoir de l'officine, j'ai eu l'agréable surprise d'être servi par un spécialiste de Saint-Pol. Cela fait plus de deux années qu'il est installé à Saïgon et pour rien au monde il ne souhaiterait retourner au pays pour y finir ses jours. Figure-toi que ce brave homme s'est uni avec une indigène de deux années plus jeune que lui et que celle-ci s'avère être bonne catholique et dévote. Le dimanche, ils s'en vont assister à la Sainte-Messe dans une modeste petite chapelle du coin de l'Avenue Catinat, étonnant, non ? Le Saint-Politain m'a précisé qu'il serait bon que Saïgon puisse avoir sa cathédrale mais que rien n'indique jusqu'à ce jour si l'amiral Pierre-Paul de la Grandière, notre premier Gourverneur, sera d'accord d'aller dans le sens de la construction d'un tel édifice. Chère Maman, cette colonie est fascinante, j'ai découvert tant de choses en si peu de temps qu'il me semble avoir vécu une éternité depuis mon arrivée en Indochine. Je t'embrasse tendrement, ton Charles-Henri.
Texte intégral et composition artistique, Vincent Thüler
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Chères lectrices, chers lecteurs,
En quête d'un établissement où je puisse me désaltérer, mon regard se porte sur un sympathique garçon indigène. Peut être qu'il va pouvoir m'aider, me suis-je pensé. Ce petit homme haut comme trois pommes me fait savoir qu'à trois kilomètres d'ici, je trouverai de quoi m'abreuver. "Cantho", m'a t-il indiqué tout en me montrant du pouce la direction à parcourir.
"Oui, oui, a t-il ajouté ! C'est tout droit devant toi. Le premier bouleverard que tu rencontreras, c'est le "Delanoue". A ta gauche cherche le "Goutte de lait de Soja" et dit que tu viens de "Phuong". Le propriétaire, je le connais très bien car son fils est mon meilleur ami".
Intrigué qu'une telle enseigne porte un nom français et de surcroît que le troquet soit tenu par un indigène m'interpelle. Arrivé sur place, je suis accueilli par une ribambelle de fillettes et de garçonnets. Le tohu-bohu vécu est à l'image de la joie de vivre de cette jeunesse indigène capable de vous ouvrir son coeur mais si elle ne vous a jamais rencontré.
"Hé toi, l'homme blanc, tu viens d'où", s'exprime une gamine tout en me montrant du doigt".
Assoiffé et peu enclin à lui répondre spontanément, je passe mon chemin tout en franchissant le semblant de portail qui m'amène au bar.
Texte et composition artistique : Vincent Thüler
Complément d'information à cette petite fiction littéraire inhérent au Boulevard Delanoue à Cantho.
Jeanne Delanoue est née le 18 juin 1666 à Saumur (sous Louis XIV). Elle décéda le 17 août 1736 dans cette même localité (sous Louis XV). Religieuse et sainte catholique, elle est célébrée le 17 août. Probable que le nom de ce boulevard indochinois lui fut attribué par une congrégation de soeurs.
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Saïgon, le 14 juin 1867
Ma chère Maman,
Après un voyage interminable de plus de deux mois où se sont succédées escales et passionnantes rencontres, me voici enfin arrivé dans le port de Saïgon. Quelque peu somnolent car souffrant de l'étouffante humidité locale, j'ai soudainement été réveillé par les trois coups de sifflets annonçant la fin de mon odyssée à travers le bleu de l'océan. Il régnait tout autour de moi une indescriptible effervescence. A la recherche d'un proche situé sur le quai parmi les centaines qui nous accueillirent, les passagers scrutaient l'horizon. Excités rien qu'à l'idée d'en finir une fois pour tout avec cet interminable périple marin dont on n'aperçoit que mouettes et îlots perdus, les gens levaient les mains haut vers le ciel et criaient à tue-tête. Ici, rien de ce que je m'imaginais lorsque je suis parti de Morlaix se révéla exacte. A commencer par cette puanteur où se retrouvaient concentrées épices, sauce de poisson et fruits exotiques dont aujourd'hui encore, j'ai peine à prononcer les noms. Il y a également ces indigènes dont je pensais que de leur modeste accoutrement et leur petite taille, ils avaient tout à apprendre de notre civilisation. Lorsque j'ai franchi le poste de contrôle des papiers d'identité, l'oncle Armand m'attendait impatiemment derrière le portique. J'avais grande hâte de le retrouver et surtout de me débarasser de cette machine à coudre Peugeot que tu m'as demandé de remettre à tantine. La prochaine fois, tu ne m'y reprendras pas, c'est juré. A t-on idée de se ballader aussi loin avec une aussi encombrante machine. Le frère de papa n'a pas changé vois-tu ! Toujours aussi souriant et correctement vêtu. Tout laisse à penser qu'il a pris du grade dans son travail dans l'administration car désormais, il porte des chaussures en peau de crocodile. Figure-toi que lorsqu'il s'adresse à ses domestiques, c'est des mots incompréhensibles qui sortent de sa bouche. Il faudra que je m'empresse d'apprendre le language des indigènes si je veux que je me fasse comprendre des femmes de chambre et de la jeune cuisinière annamite. Vois-tu cela, je l'ai entre-aperçu dès que j'ai franchi le pas de la porte principale. Fine de taille et minois d'ange, je découvre de saveurs exotiques dont j'ignorais l'existence. L'on m'a dit qu'elle excellait dans la confection du Paris-Brest, où a t-elle accumulé tant de savoir-faire ? Comme elle maîtrise très bien la langue française, je vais solliciter son aide. Dans une de mes prochaines lettres, je tenterai de te décrire l'architecture de Saïgon et ce fourmillement d'indigènes qui vit nuit et jour, c'est impressionnant. Toutefois, avant de conclure mon message, sache que je réside à bonne enseigne. L'Avenue Catinat dans laquelle se trouve la maison d'oncle Armand est quelque peu bruillante car partout l'on construit. Afin que tu puisses te rendre compte par toi-même de l'endroit où je vis dès à présent, tu trouveras, joint à ma lettre, un cliché qui correspond à la réalité. Il y a fort à parier que d'ici quelques mois, les deux côtés de cette avenue soient occupés par des nouveaux colons et qu'il me soit impossible de traverser la route aussi aisément qu'aujourd'hui. Etrange d'avoir donné pour nom de rue ce maréchal de France, tu ne trouves pas ? Comment se nomme t-il déjà, Catinat ? Je t'adresse, chère maman, ma plus tendre affection. N'oublie pas de saluer papa et rassure-le quant à mon état de santé. Charles-Henri
Texte intégral : Vincent Thüler
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Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici un extrait du "Cri de Saigon", édion du mois de mars 1912.
"Il n'est personne parmi les citoyens français établis aux colonies qui ne condamnent sévèrement les violences inutiles dont les indigènes sont si souvent l'objet, de la part de militaires ou de marins ivres, de certains agents de police eux-mêmes, et de malheureux européens de basse condition, sans éducation et souvent sans profession. Mais il est souverainement injuste d'attribuer cette mentalité à tous ceux de nos compatriotes établis et ayant besoins de la main d'oeuvre indigène. Nuls plus que ceux-ci ne réprouvent les sévices et les violences à l'égard des indigènes qui, d'ailleurs, n'ont pas besoin de syndicats pour boycotter les employeurs irascibles et au geste prompt. Il est donc permis de déplorer sincèrement le zèle, intempestif autant qu'excessif et injustifié du parquet, qui accorde un crédit exagéré aux rapports policiers".
Vincent Thüler
"Le Cri de Saïgon est en vente chez tous les libraires de Saïgon et à la Civelle. A Paris, il est en vente chez Madame Langlois, Galeries d'Orléans (Palais Royal) au prix de 0fr 50.
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